Qu’est-ce que l’intersectionnalité pour les personnes racisées ?EN BREF
Les personnes autistes racisées vivent des défis particuliers, car elles font face à la fois au racisme et aux préjugés sur l’autisme. Cela complique leur accès à un diagnostic, aux services et au soutien dont elles ont besoin. Elles ont souvent plus de difficulté à obtenir un diagnostic. Elles risquent aussi d’être mal comprises par les services policiers, ce qui peut mener à des situations dangereuses. Leur accès aux services est encore plus difficile. Parfois, elles ne savent même pas où chercher de l’aide, surtout si elles ne parlent pas bien le français. Pour améliorer la situation, il faut mieux former les professionnels, adapter les services aux réalités de toutes les communautés et s’assurer que tout le monde ait accès au soutien nécessaire, peu importe son origine.

Trois grands enjeux liés à l’intersectionnalité « être une personne racisée et autiste »
Le diagnostic et l’accompagnement des personnes autistes restent marqués par des défis considérables : manque d’information, stigmatisation sociale, coûts et inégalités d’accès aux services. Ces difficultés sont particulièrement prononcées lorsque la personne est racisée, c’est-à-dire qu’elle appartient à un groupe ethnique ou culturel systématiquement défavorisé ou soumis à des discriminations structurelles.
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L’impact des stéréotypes raciaux sur le diagnostic de l’autisme : les préjugés, conscients ou non, peuvent entraîner des retards, voire des erreurs, dans le diagnostic.
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Les conséquences d’une surveillance policière accrue : les risques supplémentaires encourus par les personnes racisées autistes lors d’interactions avec la police, et comment s’y préparer.
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Les disparités économiques et l’accès aux services spécialisés : les obstacles financiers et géographiques qui limitent l’accès au diagnostic et aux interventions auprès des familles racisées.
L’intersectionnalité : être une personne racisée et autiste
Définition du concept
Le terme intersectionnalité a été initialement popularisé par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw (1989). Il désigne l’imbrication de différentes formes de discrimination (race, genre, statut socioéconomique, orientation sexuelle, etc.) qui peuvent se renforcer mutuellement :
Racialisation
Processus par lequel on attribue à un groupe des caractéristiques liées à une « race » ou une origine culturelle, souvent associées à des stéréotypes négatifs ou à des discriminations. Les personnes racisées sont plus souvent soumises à des inégalités systémiques (éducation, logement, emploi, justice, etc.) ;
Autisme
Condition neurologique se manifestant principalement par des altérations de la communication et de l’interaction sociale, ainsi que par des comportements et intérêts restreints ou répétitifs. On parle de « spectre » de l’autisme, car l’intensité et la variété des caractéristiques autistiques peuvent varier considérablement d’une personne à l’autre.
Quand une personne est à la fois racisée et autiste, elle ne subit pas seulement du racisme d’un côté et des préjugés sur l’autisme de l’autre. Ces deux formes de discrimination se mélangent et créent des défis uniques, rendant son quotidien encore plus compliqué.
Pourquoi faut-il prendre en compte l’intersectionnalité ?
Les préjugés, le racisme systémique et le manque de ressources adaptées peuvent mener :
- À un diagnostic plus tardif ou même à un sous-diagnostic, faute d’évaluation adaptée
- À des obstacles socio-économiques rendant l’accès aux services (par exemple, l’ergothérapie ou la psychoéducation) plus difficile
- À une stigmatisation accrue à l’école, au travail ou dans les loisirs, car l’autisme est encore peu accepté, y compris dans certaines communautés ethnoculturelles où il demeure tabou ou mal interprété

Les principaux défis rencontrés
L’impact des stéréotypes raciaux sur le diagnostic de l’autisme
Retard de diagnostic
Des études menées aux États-Unis (ex. Mandell et al., 2021) montrent que les enfants noirs reçoivent leur diagnostic d’autisme plus tard que les enfants blancs. Au Québec, l’accès à une évaluation spécialisée peut être encore plus lent pour les familles racisées. En cause :
- La sous-représentation de médecins et de spécialistes issus de minorités, ce qui peut entraîner un manque de sensibilité culturelle
- Des préjugés dans l’évaluation ou l’interrogation des parents peuvent parfois mener à un mauvais diagnostic (TDAH, trouble du comportement, etc.) au lieu de détecter l’autisme.
Les personnes racisées autistes peuvent être perçues comme « agitées », « indisciplinées » ou « agressives » lorsque leurs comportements résultent en réalité d’une surcharge sensorielle ou d’une difficulté à comprendre certains codes sociaux. Il n’est pas rare que des symptômes autistiques soient confondus avec :
- De l’opposition ou de la provocation
- Des troubles anxieux non liés à l’autisme
- Des « comportements culturels » interprétés de façon stéréotypée
Manque de formation et préjugés
Certains préjugés peuvent fausser le diagnostic. Par exemple :
- Certains professionnels de la santé ou enseignants peuvent croire qu’un enfant noir qui a des difficultés a simplement « un problème de discipline » au lieu de chercher un diagnostic d’autisme
- Les différences de langue peuvent compliquer la communication et fausser l’évaluation de l’enfant
Pour aller plus loinMANQUE DE FORMATION ET BIAIS IMPLICITES
Au Québec, guides pratiques insistent sur l’importance du dépistage afin de mieux repérer l’autisme chez les enfants, sans nécessairement fournir de conseils pour les enfants racisés. Ces outils ont le mérite d’exister, mais les biais culturels et les stéréotypes raciaux peuvent nuire à cette évaluation. Par exemple les professionnels de santé et les enseignants peuvent minimiser les retards ou difficultés d’un enfant noir, pensant qu’il s’agit « d’un problème de discipline » et les barrières linguistiques peuvent fausser la communication ou réduire la précision de l’évaluation clinique. Les témoignages de parents racisés élevant un ou plusieurs enfants autistes commencent timidement à être divulgés ; peu de familles osent toutefois s’exprimer publiquement par peur de représailles de la part des institutions de santé ou d’enseignement.

Les conséquences de la surveillance policière accrue des personnes racisées autistes
Criminalisation des comportements autistiques
Au Canada, comme dans de nombreux pays occidentaux, les minorités racisées sont davantage sujettes à des contrôles policiers et à la suspicion. Pour une personne racisée autiste, la combinaison de ces deux facteurs peut être explosive. En effet, un individu autiste peut :
- Ne pas réagir verbalement ou physiquement comme on s’y attend
- Avoir des difficultés à maintenir un contact visuel
- Être particulièrement sensible aux bruits (sirènes, cris, etc.) et réagir de manière perçue comme « anormale » ou « hostile »
Ces signes peuvent être mal interprétés par des policiers peu formés à la neurodiversité, augmentant le risque d’escalade, de recours à la force ou même d’arrestations injustifiées.
Stéréotypes raciaux et autisme
Les préjugés racistes s’ajoutent à la méconnaissance de l’autisme. Une personne noire autiste en crise peut se retrouver plus facilement perçue comme dangereuse ou violente. Dans les faits, cette personne peut être en surcharge sensorielle et totalement incapable de suivre les ordres donnés. Au Québec, il existe des programmes de formation pour la police, notamment à Montréal, afin de mieux comprendre la santé mentale et la neurodiversité, mais leur application effective sur les personnes racisées reste à démontrer.
Traumatisation et méfiance réciproque
Les familles racisées autistes peuvent développer une grande méfiance envers la police. Cette méfiance n’est pas infondée lorsqu’on regarde certains cas médiatisés de bavures policières à l’encontre de personnes vulnérables. Par conséquent, elles se retrouvent parfois à devoir éduquer très tôt leurs enfants sur la manière de se comporter avec la police. Or, un enfant ou un adolescent autiste peut avoir des difficultés à intégrer ces consignes « abstraites » (gérer son stress, répondre de manière polie, expliquer qu’il est autiste, etc.), ce qui crée un stress supplémentaire pour la famille.
Préparation et éducation
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Informer les personnes autistes de leurs droits : un simple document ou une carte mentionnant « Je suis autiste » peut aider en situation d’urgence, même si cela ne garantit pas toujours la compréhension du policier.
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Formation policière : renforcer les programmes de formation continue pour les corps de police sur les réalités autistiques et les biais raciaux.
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Recours à des équipes mixtes : dans certaines régions du Québec (principalement dans le Grand Montréal ou à Sherbrooke en Estrie), des équipes combinant policiers et intervenants psychosociaux peuvent se déplacer lors d’appels impliquant une personne autiste en crise.
Les disparités économiques et l’accès aux services spécialisés
Inégalités de revenu et coût des services
Les thérapies d’intervention comportementale, l’orthophonie, l’ergothérapie ou la psychoéducation peuvent coûter très cher lorsqu’elles ne sont pas couvertes par les régimes publics ou privés. Les familles racisées sont souvent plus exposées à la précarité financière. Même si certaines subventions ou programmes existent (par exemple, via le Plan d’action sur le trouble du spectre de l’autisme 2017-2022 du MSSS), ces aides restent parfois insuffisantes ou méconnues.

Localisation géographique et manque de ressources
Les centres spécialisés sont parfois concentrés dans des quartiers plus favorisés ou dans des grandes villes (Montréal, Québec, etc.). Les familles vivant en régions éloignées ou dans des quartiers défavorisés manquent d’options de proximité et doivent parcourir de longues distances, rendant l’accessibilité plus difficile. Ce défi est accentué pour les familles n’ayant pas de véhicule ou de moyens de transport adéquats.
Barrières linguistiques et administratives
Pour les familles immigrantes, comprendre les rouages du système de santé et de l’éducation québécois ou canadien peut être un véritable casse-tête. Remplir des formulaires, présenter des documents officiels, passer d’un service à un autre : tout cela peut décourager ou retarder la prise en charge. Des associations comme Autisme Québec ou commencent à offrir du soutien interculturel, mais la demande est grande et les ressources limitées.
Manque de sensibilisation et absence de relais communautaires
Certaines communautés culturelles au Canada entretiennent encore des tabous autour de la santé mentale et de l’autisme. Le diagnostic peut être vécu comme une honte ou une « malédiction », retardant la consultation médicale. De plus, des organismes de parents d’enfants autistes ont parfois de la difficulté à atteindre ces communautés, faute de personnel bilingue / multilingue ou de « ponts » culturels.
Les solutions possibles
Pour améliorer la situation, il faut agir à plusieurs niveaux : adapter les lois, former les professionnels et la police, encourager la recherche et impliquer la communauté.
Améliorer le dépistage et la formation des professionnels
Formations spécialisées
Les pédiatres, psychologues, enseignants et autres intervenants devraient recevoir une formation continue portant sur la détection de l’autisme en contexte interculturel (voir les ressources d’Autisme Canada).
Guides cliniques inclusifs
Adapter les grilles d’évaluation de l’autisme pour tenir compte de la diversité culturelle, linguistique et socioéconomique.
Augmenter la représentation
Encourager la diversité ethnique et culturelle dans les filières de santé, d’éducation et de travail social, afin que les familles racisées puissent rencontrer des professionnels qui comprennent mieux leur réalité.
Renforcer l’accès aux ressources et aux services
Politiques publiques d’équité en santé
Simplifier les démarches administratives pour obtenir un diagnostic ou un suivi thérapeutique, notamment pour les familles immigrantes.
Collaborations avec les organismes communautaires
Les associations de quartier, groupes de femmes, centres de réfugiés et centres culturels peuvent être des alliés pour informer, guider et soutenir les familles.
Former et sensibiliser la police et les services d’urgence
Cours obligatoires sur l’autisme et le racisme systémique
Dans les écoles de police, inclure une formation pour reconnaître les signes de l’autisme et gérer de façon sécuritaire les interactions avec des personnes racisées autistes.
Partenariats police-santé
Mettre sur pied ou développer davantage d’équipes mixtes (policiers + intervenants en santé mentale/neurodiversité) pour répondre aux appels impliquant une personne en crise.
Campagnes de sensibilisation
Diffuser des messages dans les médias et les réseaux sociaux pour éduquer le grand public sur les personnes racisées autistes et ainsi réduire la stigmatisation.
Promouvoir la recherche et la collecte de données
Statistiques désagrégées
Statistique Canada (2022) souligne déjà l’importance de recueillir des données sur l’autisme en fonction de l’origine ethnique et du statut socioéconomique, afin de mieux cibler les politiques publiques ;
Recherche participative
Associer les personnes racisées autistes et leurs familles aux projets de recherche pour définir leurs besoins réels et éviter de reproduire des biais institutionnels ;
Diffusion des savoirs
Rendre accessibles en français et dans d’autres langues les résultats de recherche, par exemple via la revue l’Express ou les organismes communautaires.

Renforcer le rôle des communautés et associations
Mise en réseau
Encourager la création ou le soutien d’associations de parents d’enfants autistes issues des communautés racisées, afin de valoriser l’entraide et la mobilisation politique.
Éducation populaire
Organiser des ateliers de sensibilisation dans les lieux de culte, les centres culturels, les écoles de quartier. Distribuer de l’information claire et simple sur ce qu’est l’autisme, comment le diagnostiquer et quelles démarches effectuer.
Mentorat et accompagnement
Mettre sur pied des programmes où des parents ou des adultes autistes racisés aident d’autres familles à naviguer dans les méandres du système de santé et d’éducation.
Conseils pratiques
Pour les parents d’enfants racisés autistes
Cherchez des ressources locales
Consultez les sites d’Autisme Québec, d’Autisme Montréal ou de votre centre de services scolaire pour connaître les droits de votre enfant, les allocations possibles et les services accessibles.
Consultez tôt
Si vous suspectez un retard de développement ou des difficultés de communication, demandez un avis professionnel dès que possible. Le dépistage précoce facilite grandement l’intervention.
Rejoignez un groupe de soutien
Que ce soit en ligne ou dans votre quartier, échanger avec d’autres familles ayant traversé les mêmes étapes peut vous orienter vers des stratégies efficaces (ex. programmes gouvernementaux, subventions, etc.).
Déposez une plainte
Si vous avez le sentiment que les services auxquels votre enfant à droit ne sont pas fournis adéquatement, porter plainte auprès de l’institution qui fait défaut ou auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est la seule façon de faire reconnaître les discriminations. Les statistiques font ressortir leur caractère systématique et les causes (manque de dialogue, de formation, etc.).
Pour les adultes racisés autistes
Déclarez vos besoins
Si vous êtes en emploi ou en recherche d’emploi, informez votre employeur de vos besoins d’adaptation (p. ex. port de bouchons d’oreilles, lumière tamisée, instructions écrites).
Ayez un support en cas d’urgence
Conservez sur vous une carte ou un document décrivant votre condition autistique. Cette simple mention peut parfois éviter une escalade lors de contrôles de sécurité ou d’interventions policières.
Participez à des initiatives communautaires
Les regroupements d’adultes autistes (ex. des forums Facebook ou des associations en personne) peuvent vous aider à briser l’isolement et vous donner des conseils pratiques.
Consultez l’organisme local dédié aux personnes autistes
Ces associations peuvent parfois vous orienter vers des fondations qui peuvent vous aider financièrement, afin d’obtenir un diagnostic dans une clinique privée.

Préparation à l’interaction avec la police
Exercices de simulation
En famille ou avec un éducateur spécialisé, pratiquez des scénarios d’interaction avec les forces de l’ordre. Apprenez des phrases-clés comme : « Je suis autiste, j’ai besoin de temps pour comprendre ».
Informer l’entourage
Assurez-vous que les membres de votre famille ou vos amis savent comment expliquer votre situation si vous êtes en crise ou incapable de communiquer clairement.
Identifier un contact d’urgence
Ayez toujours un contact familial ou amical que la police peut appeler pour obtenir des informations supplémentaires sur vous.
Conseils pour les professionnels
Se former à l’interculturel
Comprendre les différences culturelles peut aider à ne pas surinterpréter ou sous-estimer certains comportements liés à l’autisme. Par exemple, il est très important de prendre en compte les différences culturelles chez les personnes racisées (les personnes originaires d’Haïti n’ont pas forcément les mêmes codes culturels que les personnes nées dans une région d’Afrique).
Interroger les biais
Remettre en question ses propres présupposés (ex. une adolescente noire en retrait n’est pas forcément « timide », elle peut être autiste et avoir besoin d’une évaluation poussée).
Impliquer la famille élargie
Dans plusieurs communautés, les oncles, tantes et grands-parents sont très investis. Les inclure dans les démarches peut renforcer l’efficacité du soutien.
Sources et ressources
Intersectionalité et études quantitatives – Santé Canada
Carte explicative de l’autisme (à télécharger), Fédération Québécoise de l’autisme
Carte explicative de l’autisme (à personnaliser), Atypique boutique
Ressources d’Autisme Canada (publications en anglais seulement)
Idées d’outils pour des campagnes de sensibilisation, Fédération québécoise de l’autisme
L’Express – Revue de vulgarisation scientifique produite par la Fédération québécoise de l’autisme
Conseils, outils, groupes de discussions proposés par Fédération québécoise de l’autisme